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    CES MAUVAISES MÈRES
    QU'ON AIME TANT

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    DU BON USAGE
    DE LA HAINE
    ET DU PARDON

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    POURQUOI ON EN VEUT
    AUX GENS QUI
    NOUS FONT DU BIEN

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Gabrielle Rubin

Gabrielle Rubin est membre de la société psychanalytique de Paris.

Après un DESS de psychologie clinique, elle a obtenu un doctorat de psychopathologie et psychanalyse à Paris VII.

Son premier essai, Les sources inconscientes de la misogynie, est paru en 1978 et depuis elle publie très régulièrement des ouvrages et articles consacrés à la psychanalyse.

Gabrielle Rubin est auteure notamment des ouvrages Pourquoi on en veut aux gens qui nous font du bien (Payot), Du bon usage de la haine et du pardon (Payot) et Pourquoi l'interdit rend nos enfants intelligents (Eyrolles).

BIBLIOGRAPHIE
photo de couverture

Ces mauvaises mères qu’on aime tant...
Nouvelle édition 2022 disponible - Editions Les Cygnes

L’amour maternel est-il toujours inconditionnel ? Est-il possible que certaines mères soient incapables d’aimer leur enfant ? 
Les enfants « mal-aimés », privés de cet amour essentiel, adorent d’autant plus leur mère, idéale et parfaite à leurs yeux. Ils portent souvent la culpabilité du rejet maternel et, toute leur vie, gardent la certitude qu’ils sont indignes d’être aimés. 
Mais un amour maternel passionné et envahissant - qu’il soit excessif ou séducteur - est tout aussi destructeur pour un enfant car il le condamnera à la solitude amoureuse et même amicale. 

Gabrielle Rubin traite ici un sujet peu abordé, en mêlant réflexions, recherches personnelles et références psychanalytiques. La mise en lumière des parcours de personnages, connus et anonymes, permettra à chacun de décrypter ses propres expériences... 

 

 

Blog

Comment réparer une faute qu'on n'a pas commise ?

Comment réparer une faute qu'on n'a pas commise ?

Réflexions
19/02/2023

"Madame Gabrielle Rubin étant décédée le 27 décembre 2022, ce texte est publié à titre posthume, selon sa volonté et avec l'accord de sa famille."

Comment réparer une faute qu’on n’a pas commise ?

Le sentiment qu’on a de sa propre culpabilité est l’un des plus destructeurs et des plus accablants que l’on puisse éprouver. Mais si celui qui nuit, lèse ou fait souffrir autrui, est considéré comme responsable de son acte et, s’il est sain d’esprit, il sera jugé. Puis, quand il aura payé sa dette à la société, il redeviendra un citoyen comme les autres.

Or nombreux sont ceux qui se sentent coupables sans savoir pourquoi ou, se méprenant, citent une raison qui n’est pas la bonne et leurs efforts pour s’en débarrasser restent évidemment sans effets.
C’est que leur sentiment de culpabilité ne vient pas sanctionner une faute réelle mais un fantasme, un péché imaginaire sur lequel la réalité n’a pas de prise.
 Comment en effet réparer une faute qu’on n’a pas commise ? J’ai souvent cité le cas des enfants abusés. Ils ne sont en rien responsables de ce qui leur est arrivé, mais ce sont pourtant eux qui se sentent sales, méprisables, avilis. Avec une image d’eux- mêmes aussi déplorable, comment pourraient-ils s’épanouir ? Alors que leurs tortionnaires se portent très bien et ne se sentent aucunement coupables.

Il y a un échange de rôles et c’est la victime qui porte le lourd – le très lourd – fardeau de la culpabilité.

Se pardonner en sacrifiant une partie de soi
Le cas de l’acteur Richard Berry est bien connu, puisqu’il l’a lui- même publiquement exposé lors d’une interview.
 Il y explique combien sa vie a été perturbée par un sentiment de culpabilité que seul le don d’un de ses organes essentiels est parvenu à calmer.

Cette culpabilité avait pour origine la maladie génétique dont souffrait sa jeune sœur : durant toute son enfance, expliqua-t- il, lui avait eu le droit de sortir et de s’amuser alors qu’elle ne le pouvait pas. Ensuite, lorsqu’il fut devenu grand, il avait pu travailler, gagner sa vie, devenir célèbre même, mais pas elle.

« Toute ma vie j’ai essayé de réparer en donnant. Tout le temps. Mais ça n’a pas suffi à me déculpabiliser. Ce n’était pas assez, il a fallu que je lui donne une partie de moi ».
 De quoi donc était-il coupable ? Lui avait-il fait du mal ? Était-il le responsable de sa maladie ? La lui avait-il inoculée ? Evidemment non, et poser ces questions suffisent à montrer que Richard souffrait – et combien – d’une culpabilité purement imaginaire.

Je pense qu’il avait créé l’étrange fantasme qu’il n’y avait qu’une seule santé pour eux deux, et puisque la sienne était excellente c’était forcément parce qu’il en avait dépossédé sa sœur.
 C’est donc déjà durant leur enfance qu’il s’était beaucoup occupé d’elle, restant près d’elle, la protégeant, remplaçant ainsi leurs parents qui étaient souvent absents à cause de leur travail. C’était un enfant hyperactif et extrêmement curieux de tout. Il en donne comme exemple le fait qu’il ouvrait ses jouets pour voir comment c’était fait à l’intérieur, et dit que c’était cette même curiosité qui l’avait conduit plus tard à faire vingt ans de psychanalyse pour « regarder à l’intérieur de moi pour voir ce qu’il y avait ».
 Certes, mais je pense pouvoir ajouter que s’il cherchait à savoir comment fonctionnaient ses jouets c’était aussi pour comprendre ce qui s’était détraqué chez sa sœur et arriver peut-être enfin à la réparer.
 Devenu adulte, il avait d’abord cru que le scénario dans lequel il racontait l’histoire d’un homme qui portait la culpabilité de la mort de son frère parce qu’il n’avait pas pu le sauver quand ils étaient enfants, était de pure fiction avant de s’apercevoir qu’en fait c’était sa propre histoire qu’il décrivait. 
C’est qu’entre-temps il avait ouvert « la boîte noire » de son inconscient et il avait compris que : « j’avais raconté ma culpabilité par rapport à ma sœur malade ».
 Mais même repérée, même exprimée, sa culpabilité était quand même toujours là, indéracinable.
 Sa mère avait sauvé sa sœur durant son enfance en lui donnant un de ses reins mais, trente-trois ans plus tard, son organisme l’avait rejeté, ce qui signifiait qu’elle était de nouveau en danger de mort. Si lui-même et son frère s’étaient proposés comme donneurs, lui seul était compatible et ce serait donc lui qui devrait sacrifier un de ses reins pour qu’elle vive, ce qu’il avait aussitôt accepté. Entre cette découverte et son opération il y avait eu deux années d’attente terriblement éprouvantes, deux années où il avait subi quantité d’examens médicaux destinés à contrôler sa santé et chaque fois le verdict avait été : oui, il était en excellente santé. 
Il savait donc qu’il serait en parfait état en se rendant à la salle d’opération, mais il n’en serait plus de même lorsqu’il en serait ressorti.
 Il décrit alors quels ont été ses sentiments, ses peurs, ses révoltes et ses espoirs durant ces deux années.
 Au journaliste qui lui demandait si, depuis qu’il avait donné un de ses reins, sa culpabilité avait disparu, il avait répondu « Oui, c’est fini. J’ai fait ce que j’avais à faire. On est à égalité », avant d’ajouter qu’il n’aurait pas pu vivre avec lui-même s’il n’avait pas fait ce don. Nous savons qu’il n’était pourtant en rien coupable et qu’avant d’avoir accepté ce sacrifice Richard Berry avait montré un amour fraternel, un courage et un sens du devoir exceptionnels. 
Il aurait donc pu, à juste titre et sans forfanterie, se sentir fier de ce qu’il avait fait jusque-là mais c’était sans compter avec sa culpabilité qui venait tout minimiser et qu’il ne trouvait donc pas à la mesure de sa faute.
 Il fallait qu’il puisse dire « On est à égalité » c’est-à-dire nous avons désormais le même problème, le même handicap : j’avais la santé et toi la maladie, ce qui est injuste. Maintenant nous sommes semblables.

La culpabilité d’être nés
Richard se sentait coupable de posséder une chose très précieuse (la santé) dont sa sœur était privée.
 Mais il y en a beaucoup d’autres qui se sentent tout simplement coupables d’exister.

Ce sont généralement les enfants non désirés et/ou peu aimés, et qui ignorent la cause de leur mal-être ou de leurs échecs. Or il faut, pour qu’ils puissent sortir de leur malheur, qu’ils découvrent cette cause, puis qu’ils la reconnaissent comme n’étant pas la leur. C’était le cas pour Marie-Claude, une femme d’une cinquantaine d’années qui, disait-elle, venait me voir en dernier recours et sans grand espoir car, quoi qu’elle fasse, tout finissait par mal tourner. Elle avait été mariée mais avait divorcé pour des raisons qui lui semblaient maintenant futiles. Elle pensait aussi avoir été une bonne mère pour ses enfants, mais elle ne les voyait presque plus depuis ces dernières années.

Sur ma demande, elle m’avait répondu que ce n’était pas à la suite de disputes, mais que ça s’était fait comme ça, peu à peu et sans raison précise. De toute façon quel exemple avait-elle à leur offrir ? Une image bien peu valorisante.

Elle avait autrefois travaillé convenablement, puis avec de moins en moins de plaisir et d’intérêt, si bien que lorsqu’on lui avait proposé des indemnités pour faciliter son départ elle avait accepté. Elle avait pensé que cela lui permettrait de réfléchir et de faire le point sur sa vie pour enfin repartir du bon pied. Mais cela ne s’était pas produit et, son pécule diminuant, elle avait été obligée de retourner vivre chez sa mère. Cette cohabitation lui pesait car elles ne s’entendaient pas, et elle ne se sentait bien que lorsque celle-ci partait en vacances ce qui, heureusement, était assez fréquent. 
La thérapie se déroulait normalement même si les progrès étaient modestes, jusqu’au moment où le suicide de son père vint tout bouleverser. Il était parti vivre à l’étranger après son divorce et elle ne le voyait plus depuis des années. Mais peu importe c’était de sa faute s’il s’était suicidé.

C’est en pleurant qu’elle m’avait expliqué que ses parents s’étaient mariés très jeunes parce qu’ils y avaient été obligés à cause d’elle : dans une famille et un village de pêcheurs on ne plaisantait pas à cette époque-là avec la virginité des filles et la seule solution, pour éviter le déshonneur, c’était un mariage rapide.

Mais ils étaient jeunes, bien trop jeunes pour avoir un enfant, et ils avaient fini par divorcer. C’était donc elle qui était la responsable de l’échec de leur mariage, à cause d’elle que son père était parti refaire sa vie au loin et que sa mère s’était remariée et était allée s’installer à l’autre bout de la France, en la confiant à sa grand-mère.

Et puisque c’était à cause d’elle que ses parents s’étaient séparés, elle était également responsable du suicide de son père : s’il était resté au pays, parmi les siens, il ne l’aurait jamais fait. Tout lui était bon pour se sentir coupable.

J’avais plusieurs fois essayé de lui montrer que ce n’était pas elle qui avait décidé de naître et qu’elle n’était donc pour rien ni dans le divorce de ses parents, ni dans le suicide de son père, ni dans le fait que sa mère l’ait laissée à la garde de sa grand-mère lors de son remariage, rien n’y faisait et cet abandon lui apparaissait comme un juste châtiment.

Tout en refusant de changer d’avis au sujet de cette culpabilité imaginaire, Marie-Claude continuait cependant à venir régulièrement à ses séances, alors que je commençais moi-même à me demander si mon travail était vraiment utile. Nous avons cependant poursuivi la thérapie, en espérant qu’elle continuerait à agir secrètement.

Et s’est ce qui s’était finalement produit.
 Elle était un jour arrivée détendue à sa séance – elle qui ne l’avait jamais été – et elle s’était écriée, en brandissant un carnet : « Regardez ce que j’ai trouvé dans un tiroir du secrétaire de ma mère, c’est notre livret de famille !
 Et savez-vous ce que j’ai découvert ? C’est que je suis née plus d’un an après leur mariage ! » 
Elle se demanda longuement ensuite comment il se faisait que tout en ayant très souvent utilisé ce livret lors de démarches administratives elle ne s’en était pas rendu compte plus tôt et pourquoi elle avait continué à penser que c’était sa naissance qui était la cause de leur mariage et donc de leur divorce. 
Cette découverte avait eu un effet bénéfique car elle s’était enfin autorisée à se débarrasser de cette partie-là de sa culpabilité. Mais on ne s’en délivre pas aussi facilement et si elle avait accepté l’idée qu’elle n’était pas responsable de leur mariage hâtif, elle restait quand même persuadée que sans elle ils auraient continué à être des amoureux au lieu de devoir être des parents.
 Ce fantasme-là fut plus difficile encore à maîtriser car s’il était évident que ce n’était pas sa naissance qui avait détruit leur mariage, elle se souvenait avoir entendu sa mère dire que si sa fille vivait avec sa grand-mère c’était parce que son mari l’exigeait et qu’elle ne voulait pas gâcher ce mariage-là aussi.
 Nous avons donc continué notre travail et Marie-Claude avait peu à peu retrouvé un certain plaisir de vivre. Elle avait vu ses enfants plus souvent et s’impliquait désormais dans un travail qui lui plaisait.
 Elle avait aussi exprimé ses regrets à son mari et leurs rapports étaient devenus amicaux.
 Tout allait donc mieux, mais une grande partie de sa vie avait été abîmée par son fantasme de culpabilité et, comme elle me l’avait dit en me quittant : « Nous avons fait du bon travail, mais j’ai gâché les meilleures années de ma vie et cela est irrémédiable car le temps perdu est perdu ».      
 
© Gabrielle Rubin - Tous droits réservés

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L'amour et la sécurité

L'amour et la sécurité

Réflexions
17/02/2023

"Madame Gabrielle Rubin étant décédée le 27 décembre 2022, ce texte est publié à titre posthume, selon sa volonté et avec l'accord de sa famille."

L’amour et la sécurité

Léa est une charmante jeune femme qui semble avoir tout pour être heureuse : une bonne santé, un mari aimant, deux fils qui grandissent sans problèmes et pas de soucis d’argent. Qu’était-ce donc qui l’avait poussée à venir entreprendre un travail psychanalytique ?

Elle m’expliqua que c’était l’espoir de se débarrasser de ses incessantes crises d’angoisse que ni les médicaments ni une précédente thérapie n’avaient soulagées.
 La plus fréquente de ses angoisses était la découverte d’un cancer inguérissable et elle lisait alors, entre terreur et désir de savoir, les magazines et les romans qui parlaient de la terrible maladie.

Une autre angoisse effrayante était la mort d’un de ses fils ou de son mari, et elle avait ajouté que cela c’était normal puisque tout le monde a peur de la mort d’un être cher.
 Sur ma demande, elle m’avait dit que sa famille était très réduite, puisqu’elle était fille unique et qu’elle avait perdu son père ; elle avait deux ou trois ans lorsqu’on avait découvert la maladie qui finirait par l’emporter et elle en avait sept quand il était parti. Elle et sa mère s’entendaient bien et leurs relations étaient affectueuses mais ce n’était évidemment pas la même chose que le sentiment qui la liait à son père.

Mais quand je lui avais dit que là était le nœud de ses angoisses, elle avait vivement protesté, disant qu’elle en avait assez d’entendre sempiternellement le même discours : elle avait déjà parlé et parlé de son chagrin, du fait que sept ans est un âge où un enfant est particulièrement vulnérable et de son incapacité à faire le travail du deuil durant sa précédente thérapie. Tout cela n’avait servi à rien.

La seule chose qui la consolait un peu était de savoir que son père veillait sur elle du lieu où il se trouvait, elle en était sûre et c’était cela qui la poussait à essayer de se débarrasser de ses angoisses plutôt que d’attendre passivement de le rejoindre.

Elle avait ensuite dit que son père était tout pour elle. Elle aimait son mari, elle adorait ses enfants, elle était très attachée à ses nombreux amis, mais cela ne l’aidait pas : tant qu’il était en vie ils avaient passé presque tout leur temps ensemble. Il lui disait qu’elle était son rayon de soleil et cela elle ne le retrouverait jamais.

Que signifie la mort pour une aussi jeune enfant ? C’est difficile de le savoir mais ce qui est sûr c’est que découvrir que son père ne sera bientôt plus là est très anxiogène et provoque un sentiment d’insécurité permanent.

C’est à ce moment que j’ai commencé à comprendre la raison inconsciente des angoisses avec lesquelles elle gâchait sa vie et, du coup, également celle des siens, mais sans pouvoir lui en parler sous peine de la voir fuir en pensant que ce nouvel analyste était encore pire que le précédent.

Devenir orpheline à sept ans est certainement une chose terrible, mais c’est une douleur semblable à celle que ressentent tous ceux qui perdent un être cher. Or dans la majorité des cas les survivants parviennent à faire le travail de deuil, et c’était parce qu’elle se blâmait (inconsciemment) d’accuser son père de l’avoir abandonnée que Léa n’y parvenait pas : la culpabilité que ce reproche engendrait en elle contrait son désir de progresser.
 Il fallut longtemps pour qu’elle accepte l’idée qu’elle n’était pas un monstre, mais que le climat d’insécurité que lui avait imposé – bien malgré lui – son père avait inévitablement provoqué un ressentiment qu’elle trouvait injuste, qui lui faisait horreur et qu’elle avait donc refoulé.

Si les deux parents donnent à l’enfant autant d’amour l’un que l’autre, il n’est pas tout à fait de la même nature. Léa, qui avait déjà l’amour de sa mère, recevait également un amour du même type de la part de son père, ce qui ne comblait pas son besoin de sécurité. L’amour maternel est sans limites et, dans la plupart des cas, dès qu’elle a accouché, la maman est en extase devant son bébé qu’elle trouve le plus beau du monde. Ce qui les relie est un lien d’autant plus fort qu’aux neuf mois de grossesse – où ils n’étaient qu’un – vient s’ajouter un temps équivalent durant lequel le bébé n’a pas encore conscience qu’ils sont séparés, épisode qui se conclut après la dépression du huitième mois. Mais il reste toujours quelque chose de cet amour sans limites et s’il devient peu à peu plus « raisonnable » la mère a toujours des difficultés à imposer des limites rigides. Même devenus adultes, nous gardons de cet amour un sentiment inconscient d’impunité. C’est l’intervention du père qui, en réduisant ce sentiment, rend possible notre autonomisation puisque le rôle de l’amour paternel est justement d’apprendre à son enfant à internaliser et donc à respecter, sans trop d’efforts, les limites.

C’est une des raisons qui rend indispensable la présence de deux adultes différents pour élever un enfant et le mettre à l’abri de cette cause de trouble majeur qu’est l’indifférenciation en répondant à la question : « Qui est qui ? Et qui fait quoi ? ».

C’est un travail fondamental car ce sont ces limites, d’abord exigées par son père, ensuite internalisées par l’enfant, qui sont les garantes de sa sécurité et, plus tard, de celle de l’adulte. 
Et que l’on qualifie spontanément d’optimistes heureux ou d’éternels pessimistes ne le sont pas par hasard, ils ne font que traduire le sentiment d’insécurité ou de paix que, sans le savoir, ils doivent à leur enfance.

Je précise qu’il s’agit d’archétypes et qu’il y a des mères admirables qui arrivent à gérer seules leur famille. Mais il y a aussi, et majoritairement, des familles monoparentales (quelle qu’en soit la raison : un père divorcé qui néglige ses enfants, ou qui est présent mais seulement pour les questions matérielles, ou même qui n’a jamais reconnu sa progéniture) dans laquelle la mère essaye d’assumer l’impossible tâche d’être à la fois la mère et le père de famille. Elle le fait avec courage, mais le résultat n’est pas à la hauteur de son sacrifice.

Pour préciser le rôle symbolique du père, imaginons par exemple une famille pique-niquant au bord d’une rivière. Le père dira à l’enfant « Tu peux aller jouer jusque-là, mais pas plus loin ». Il est clair, dans ce cas, que c’est la limite imposée qui est la sauvegarde de l’enfant. Il est évident que la mère aussi peut imposer des limites mais elle prendra alors un rôle de père, tout comme le père de Léa avait pris auprès de sa fille un rôle plutôt maternel. Autre genre d’exemple : l’enfant est à la crèche, il joue avec un congénère, mais dans l’excitation du jeu l’enfant se contrôle moins et il pourrait devenir violent. Là encore, c’est la limite qui y est mise qui protège l’enfant – comme elle protège l’adulte – car faute de limite, il finira par faire mal à son partenaire et, si la limite à ne pas dépasser n’est pas de nouveau affirmée jusqu’à ce qu’il l’accepte, il perdra tous ses amis.
 Or, être entouré d’amis qui nous apprécient et nous aiment demeure, quel que soit notre âge, absolument essentiel.


Un autre exemple que nous avons sous les yeux est celui de l’école, où de plus en plus de jeunes ignorent jusqu’à l’existence des limites.

Or c’est un lieu d’une extrême importance car c’est là que les enfants, qui ont (devraient avoir) déjà accepté de respecter les limites familiales, vont maintenant apprendre celles qu’on doit respecter pour se sentir bien dans sa société et ne pas risquer de tomber dans l’illégalité.
 Et nous voilà revenus à la responsabilité du père, puisqu’il est le garant de la loi.
 Les lois changent, puisque les limites à respecter sont différentes suivant le continent, le pays ou la société à laquelle on appartient : ce qui est indispensable, ce n’est pas telle ou telle limite en elle-même, c’est de respecter les limites qui sont adaptées à la société dans laquelle on vit. 
Or, depuis que nous avons souvent remplacé l’amour par le sexe et la sécurité par le principe de précaution, le sentiment que nous avions d’être, au moins un peu, en sécurité s’est encore amenuisé parce que le sexe seul est incapable de donner cette part de sécurité qu’apporte un véritable amour, où on est deux pour affronter ensemble les aléas de la vie, où on trouve toujours l’autre pour nous écouter et nous aider si nécessaire : un autre qui est toujours là pour nous.


C’est un genre d’amour qui renvoie à l’amour maternel, qui est indispensable et qui apporte beaucoup, mais qui n’est pas suffisant.
 Le principe de précaution, quant à lui, détruit ce que l’on a reçu du père, et de la mère lorsqu’elle assume un rôle paternel : que l’enfant l’ait internalisé, c’est-à-dire qu’il puisse choisir librement de respecter les limites et compris leur importance.
 Le principe de précaution nous décharge en effet du travail de pensée qui nous permet de juger de la qualité des limites, de leur pertinence, du lieu où elles se situent et jusqu’où on peut aller sans se mettre en danger.
 Sans nier la nécessité de certaines précautions imposées par le législateur, il n’en reste pas moins que s’il se charge de tout il ne reste plus de place pour notre propre décision, qui devient inutile puisque c’est la bonne mère État qui décide pour nous.
 Et si cela nous interdit de réfléchir avant de prendre une décision, cela sape aussi la confiance en nous que donne le fait d’être responsable de notre sécurité et de celle de nos proches.
 Et Léa ? Elle n’avait ni plus ni moins de raisons que les autres de se sentir perpétuellement menacée par le malheur, mais elle avait un sentiment permanent d’insécurité qui la torturait. Car c’est bien d’un sentiment qu’il s’agit ou, si l’on veut d’un fantasme, – mais combien puissant – et non d’une réalité.
 En le traduisant en mots Léa l’avait transféré de l’Inconscient dans le Conscient. Autrement dit, lorsqu’elle se sentait envahie par l’angoisse elle pouvait désormais la maîtriser avec les outils de la raison.

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