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...Et le pouvoir absolu... corrompt absolument

...Et le pouvoir absolu... corrompt absolument

- Réflexions

Vendredi 17 Février 2023

"Madame gabrielle Rubin étant décédée le 27 décembre 2022, ce texte est publié à titre posthume, selon sa volonté et avec l'accord de sa famille."

... Et le pouvoir absolu... corrompt absolument

Les « Droits de l’Homme » sont des droits naturels, disaient les Constituants, et c’est ce que nous dit aussi Freud dont le texte sur le « Complexe d’Œdipe » indique, à mon sens, que le désir d’un Etat démocratique s’est développé dès que l’évolution nous a permis de comprendre que les sociétés ne sont pas forcément figées.

La lecture de cet article nous apprend que la « Résolution du Complexe d’Œdipe » oblige l’adolescent à accepter et à respecter les lois de sa société, alors que les enfants sont persuadés qu’ils sont tout-puissants. (Ce qui peut être aussi le cas d’un certain nombre d’adultes, car nous risquons à tout moment de régresser vers la mégalomanie.) Cette régression, gênante ou parfois grave dans ses conséquences lorsque c’est l’entourage d’un simple citoyen qui est en cause, devient réellement catastrophique lorsque c’est un chef d’Etat qui est en cause, et on peut en dire autant de n’importe quel pouvoir, qui finit toujours d’autant plus mal qu’il est plus absolu. Les dictateurs, même lorsqu’ils sont élus, le sont généralement dans un contexte de désordres, de misère, et d’humiliations et lorsque les citoyens, exaspérés par les conditions de vie qui sont les leurs, laissent faire ou même accueillent favorablement le nouveau leader, cela est d’autant plus volontiers que celui-ci promet, souvent de bonne foi, toutes sortes de prospérités.
 Mais - très vite ou plus lentement - ce qu’on voit se développer dans une dictature, c’est la suppression des libertés, la corruption, la misère pour les plus faibles, l’opulence pour les favoris du régime et, toujours, la justice bafouée.

Ce schéma est constant : dictatures de droite, dictatures de gauche, dictatures du centre, s’il en existe, aucune n’y échappe car, en dehors d’autres raisons de toutes sortes, une cause psychologique rend inévitable une évolution de ce type.

(Un chef d’Etat « névrotico-normal », est très différent. Pourtant, si une sage constitution n’a pas donné une durée limitée au mandat que le peuple lui confie, nous avons vu, voyons et verrons que la fin du règne de ce chef d’Etat sera, elle aussi, dictatoriale. Elle n’aura pas les mêmes effets désastreux de la fin d’une dictature, mais cette fin sera assez chaotique pour qu’il vaille la peine de réfléchir aux moyens de l’éviter.)

Il faut constamment garder à l’esprit l’idée qu’un chef est aussi un homme comme un autre. Cela semble aller de soi ? Certes, pour la partie adulte de nous-mêmes, mais non pour la partie infantile/ inconsciente qui, peu ou prou, identifie le chef aux parents du premier âge.

Or, et là réside le danger, cet homme, ce chef d’Etat, conserve, comme chacun d’entre nous, enfouis au plus profond de lui- même, des restes de formations infantiles non surmontées et, particulièrement bien refoulées, des pulsions non sublimées - sadomasochistes et voyeuristes-exhibitionnistes - ainsi que des noyaux plus ou moins importants de psychose et de perversion. Tout cela, combiné avec nos traits de caractère et avec notre part névrotique, donne un individu normal, c’est-à-dire dont les pulsions sont contenues par le Moi dans des limites raisonnables. Tout autre est le cas d’un chef d’Etat. On peut supposer sans grand risque d’erreur que tout en étant normal, un homme ou une femme dont l’ambition ne vise à rien de moins qu’à être le chef suprême d’un Etat, contient en lui, à l’état latent, un assez fort noyau mégalomaniaque. Mais ce noyau, contenu de façon satisfaisante en temps normal, risque d’échapper au contrôle du Moi d’un chef d’Etat si son environnement en est par trop différent.

Or, que se passe-t-il après que le pouvoir a été légalement conquis (et a fortiori après un coup d’Etat) ? Tout et tous, autour du chef vont spontanément à la fois le couper de la réalité quotidienne et l’encenser.

On se souvient peut-être de la question posée par Françoise Giroud à Valéry Giscard d’Estaing, candidat au poste suprême : « Pouvez-vous me dire, avait-elle demandé, quel est le prix du ticket de métro ? ». La question fit rire toute la France, car le futur Président de la République était resté coi. La journaliste avait voulu démontrer, et elle y avait parfaitement réussi, combien il était loin des simples citoyens.

Mais est-il extraordinaire qu’un homme politique de haut niveau, celui-là ou un autre, dispose d’une voiture avec chauffeur et ignore le métro ? Devrait-il aussi faire son marché lui-même pour connaître de près le prix du kilo de carottes, ou laver lui-même son linge pour ne rien ignorer de celui des laveries automatiques ? Et mémoriser les milliers de détails qui font notre vie quotidienne ? Ce serait évidemment absurde, car l’exécution de ces tâches l’éloignerait fâcheusement des affaires de l’Etat auxquelles il doit consacrer tout son temps.

Cette anecdote montre bien, cependant, la tension qui se crée en la personne des chefs d’Etat : sujets aux mêmes faiblesses psychiques que les autres hommes, leur fonction les contraint à une vie totalement différente du citoyen ordinaire ; ce mode de vie très à part, très coupé des réalités quotidiennes, qu’ils sont obligés de mener, facilite déjà par lui-même une certaine distorsion dans la perception de la réalité.

Mais un leader est inévitablement entouré de flatteurs, dont certains admirent sincèrement le chef. Nous en sommes tous plus ou moins là, car « Qui se ressemble s’assemble », et il est rare, en effet, que nous choisissions pour amis des personnes qui nous sont systématiquement opposées. La différence, essentielle, vient du fait que ceux qui ne nous aiment pas - indifférents ou ennemis - ont la possibilité de nous le faire savoir, et parfois rudement. Alors que l’entourage du chef d’Etat supprime toute critique s’il s’agit d’un dictateur.

A ces familiers amicaux, il faut ajouter la masse de tous ceux qui ont intérêt à flatter le chef, principal détenteur de la manne dans les démocraties, seul propriétaire réel des biens et des places dans les dictatures.

Il est donc inévitable que se mette en place ce qui va provoquer chez le dictateur la régression infantile d’une partie de sa psyché, car l’environnement qui est le sien est très semblable à celui que met en place la mère de l’enfant qui deviendra plus tard un mégalo ou un pervers. Celle-ci admire sans mesure son rejeton, le flatte exagérément, lui laisse croire - parfois le pousse à croire - qu’il est supérieur à son père, et qu’il pourrait même éventuellement le remplacer auprès d’elle.

Or, pour un petit enfant qui ne dispose que d’un univers mental encore limité, le père représente le monde extérieur tout entier, auquel il va dès lors se croire supérieur. C’est un sentiment normal pour un bébé que de se croire le centre du monde, le seul aimé de sa mère, d’être en somme mégalomaniaque : « His Majesty Baby », disait Freud. Mais il en va tout autrement pour un enfant, et encore bien plus pour un adulte, chez lequel la persistance d’un tel sentiment mène au désastre.

Nous savons qu’en tout chef d’Etat le noyau mégalomaniaque est important quoi que (généralement) contenu ; mais, placé dans un environnement favorable, ce noyau va s’enfler et déborder son contenant : constamment encensé, admiré, disposant d’un grand pouvoir (d’un pouvoir absolu dans les dictatures), il est inévitable que « His Majesty le Leader » régresse et finisse par perdre la notion (adulte) du relatif pour se remettre à croire de plus en plus à sa toute-puissance.

Tous les pays, même les plus démocratiques, connaissent des moments de ce genre, ces actes que nous nommons « Le fait du Prince », que nous acceptons avec réprobation mais sans leur accorder l’importance qu’ils ont pour l’inconscient. En effet, même si le viol de la loi a été minime dans ses conséquences, il y a eu viol, et le chef d’Etat a bafoué le plus sacré de ses devoirs : être le représentant de la loi. Pour un court instant, il s’est conduit comme un dictateur, comme quelqu’un qui fait la loi, et non plus en garant de la loi, à laquelle il doit être soumis comme chacun d’entre nous.

La sagesse, autrefois, avait placé, auprès du Puissant, un Fou chargé de dire quelques vérités à celui auquel on ne les disait jamais. Hélas, le Fou fut remplacé par le Courtisan... et il l’est toujours. Aussi tel monarque se prit-il pour le Soleil, tel autre se crut le Bien-Aimé, d’autres se prirent pour César ou pour Dieu. Les chefs d’Etat ne sont d’ailleurs pas les seuls à courir un tel danger, bien d’autres, à de moindres postes, le sont aussi ; victime de ce que l’on nomme la « grosse tête », tout un chacun peut se retrouver en état de se croire la Huitième Merveille du Monde. Aussi la raison nous demande-t-elle d’établir que la puissance accordée à un leader soit inversement proportionnelle à la durée de son mandat : plus le chef d’Etat gouverne seul et plus son temps de gouvernement doit être court. C’est l’unique possibilité que nous ayons de le préserver, lui, de la régression infantile vers la mégalomanie, et nous, des conséquences de cette régression. (Ecrit d’après le texte de 1989)  

© Gabrielle Rubin - Tous droits réservés
 

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