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Cours Primaire et Prix Nobel : même combat

Cours Primaire et Prix Nobel : même combat

- Réflexions

Vendredi 17 Février 2023

"Madame Gabrielle Rubin étant décédée le 27 décembre 2022, ce texte est publié à titre posthume, selon sa volonté et avec l'accord de sa famille."

Cours Primaire et Prix Nobel : même combat

Les repères et les classements
Ce sont eux qui nous permettent de nous situer dans l’espace et nous disent quelle est notre place dans notre société. C’est dire leur importance, ce que les mots dont nous nous servons pour les désigner confirment : nous disons que nous sommes désorientés, déboussolés, déroutés, ou encore que nous avons perdu le nord lorsque nous nous sommes égarés et que nous ne savons plus comment retrouver la bonne route. Chaque civilisation a ses propres repères, mais ce sont toujours ceux qu’elle s’est choisis qui déterminent les valeurs qui font ce qu’elle est.

Les classements font partie des repères essentiels, puisque ce sont eux qui nous disent quelle est notre juste place par rapport à nos semblables. 
Or, par une bizarrerie inexplicable, on les utilise de moins en moins là où ils sont les plus nécessaires, c’est-à-dire à l’école. C’est pourtant par eux que les parents, les professeurs et les écoliers eux-mêmes apprennent quels sont leurs points forts – ce dont il faut les féliciter – et dans quelles matières ils ont besoin d’être soutenus pour progresser et être à niveau.

Mais, de crainte de stresser les écoliers, on essaye actuellement de les exempter de tout effort1, ce qui part d’un bon sentiment mais qui me fait penser à la fable de La Fontaine, L’ours et l’amateur de jardins, où l’on voit un ours qui, en voulant chasser une mouche inopportune posée sur la tête de son compagnon endormi, l’avait écrasée avec un pavé : sans le savoir et avec les meilleures intentions, il avait ainsi, du même coup, réduit en bouillie la tête de son ami.
Et le fabuliste de conclure :
« Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami, Mieux vaudrait un sage ennemi »

Les méfaits du non-savoir
C’est aussi en croyant bien faire que le redoublement a été quasi supprimé et que certains voudraient encore qu’on réexamine la « stressante » attribution de notes, alors qu’un grand nombre d’élèves arrivent au collège sans maîtriser ni le français ni les fondamentaux scientifiques et mathématiques.
C’est ainsi que certains écoliers transportent leur non-savoir de classe en classe, accroissant les difficultés des professeurs et l’ennui des autres élèves, alors que retravailler des questions déjà partiellement connues permettrait une remise à niveau pour beaucoup d’entre eux.

Tout cela est actuellement considéré comme négligeable, et la seule chose importante à faire semble être que le temps de l’école ait la douceur d’un mol oreiller. 
Peut-on sérieusement penser qu’ils seront ainsi mieux armés pour affronter les difficultés de la vie, ou le dur travail qu’exigent l’apprentissage d’un métier ou les études supérieures ?
 C’est vraiment se priver de la meilleure façon de donner aux écoliers le désir d’apprendre et de réussir en oubliant que, pour eux comme pour les adultes, c’est un grand plaisir que de triompher d’une épreuve, et que plus sa difficulté est importante et plus on est heureux et fier de l’avoir surmontée.
 Cela est d’ailleurs si fortement inscrit en nous que cette réussite nous remplit de satisfaction même lorsqu’elle ne nous apporte aucun gain matériel. Et c’est parce que depuis la nuit des temps les hommes affrontent les épreuves qui jalonnent leur parcours, que leurs efforts vers toujours plus de savoir leur ont permis de progresser et de réussir.
 C’est dès son plus jeune âge (et parfois déjà in utero) que le bébé découvre qu’en parvenant à sucer son pouce par lui-même il n’a plus besoin du bon vouloir de sa mère pour obtenir ce plaisir : c’est son premier pas vers l’autonomie, la première épreuve dont il a triomphé. Cette réussite lui aura aussi fait sentir qu’il est important d’être capable de surmonter les difficultés de la vie2 grâce à son propre courage.
 Ce premier succès rendra plus facile la maîtrise de la marche, puis de la parole et lui permettra plus tard d’apprendre à utiliser de nouveaux objets et de nouveaux concepts, ce qui le rendra libre de ses choix. Cela exige beaucoup de volonté et de travail, et cependant les enfants le font sans rechigner tant ils aiment apprendre : il n’est que de voir l’ardeur qu’ils mettent, déjà tout petits, à trouver la solution des problèmes que leur posent leurs jouets puis, quelques années plus tard, la passion avec laquelle ils restent devant leur console – parfois même au détriment des heures de sommeil – pour constater l’énergie qu’ils emploient pour apprendre à s’en servir toujours plus habilement et la satisfaction que cela leur procure.

Ce que nous cherchons (presque) tous, c’est d’abord d’aller aussi loin que nous le permettent nos capacités mais aussi, une fois cela acquis, que notre savoir en la matière soit reconnu, et c’est pour parvenir à ce but que nous donnons le meilleur de nous-mêmes. Le désir de notre espèce est d’apprendre pour savoir et pour pouvoir ensuite aller plus loin. S’il n’en était pas ainsi nous vivrions encore, vêtus de peaux de bêtes, au fond d’une caverne3. Le marathon en est un exemple : en 2013, à Paris, il y a eu 39 967 coureurs qui ont pris le départ des 42,195 kilomètres d’un parcours que très peu d’entre eux peuvent prétendre gagner. Il y a donc eu au moins 39 950 sportifs qui ont pris part à une course particulièrement dure alors qu’ils savaient qu’ils ne la gagneraient pas.
Leur récompense était de s’être prouvé à eux-mêmes leur courage, et d’être reconnus – par leur entourage et les autres coureurs – comme ayant surmonté une épreuve difficile. Mais nous avons aussi des repères plus psychiques, comme par exemple les rituels de passage, qui marquent les changements sociaux, et dont l’un des plus importants signale l’entrée dans l’âge adulte. Il est douloureux et parfois même dangereux dans certaines cultures mais tous les jeunes s’y soumettent, avec un peu de crainte mais beaucoup de fierté, car c’est après en avoir triomphé qu’ils seront considérés comme des adultes, responsables d’eux-mêmes et capables d’aider leurs cadets à s’épanouir à leur tour.

Les Rituels de Passage
Dans nos contrées ces rituels de passage s’appuient sur des épreuves intellectuelles : le Brevet et le Baccalauréat, auxquels prépare l’Ecole.
 Or, comme les adultes, les jeunes adorent la compétition, qu’il s’agisse du sport, de leur place dans la bande des copains, et même à l’école, quand ils ne sont plus en classe mais dans la cour de récréation.

Un de leurs jeux favoris est de pousser leurs camarades – et eux- mêmes – aux pires exploits : « t’es cap ou t’es pas cap ! », et les voilà prêts à affronter toutes les difficultés, et parfois même à se mettre en danger : ne pas utiliser ce goût pour les inciter à faire des efforts pour être les meilleurs à l’école aussi, c’est se priver d’un moyen très efficace.

N’ayant aucune compétence sur les matières à enseigner, ni sur la façon dont il faut le faire, je me borne à parler des affects qui concernent les rapports des écoliers avec leur école. Et comme j’ose penser que tout n’est pas à jeter dans les pratiques d’autrefois, je vais dire comment on y reconnaissait leurs efforts : c’était par la Distribution des Prix, une cérémonie au cours de laquelle l’Ecole Républicaine récompensait le travail qu’avaient fourni les meilleurs élèves durant toute l’année scolaire.
Au collège, rapporte Gérard, nous avions chaque mois des compositions dans chaque matière dont la note était transcrite sur un bulletin qui était lu par le Directeur devant toute la classe, puis envoyé aux parents. A la fin de l’année, un bon livret nous permettait de passer dans la classe supérieure et d’être cités à la Distribution des Prix.

C’était une cérémonie très attendue qui se déroulait à la fin de l’année scolaire : devant tous les professeurs et tous les parents assemblés, Monsieur le Maire faisait un discours, la fanfare jouait l’Hymne National et les pompiers faisaient entendre leurs sonneries. Sur l’estrade, entourant le Maire, étaient assis les membres du Conseil Municipal, les autorités et les professeurs, dont plusieurs faisaient ensuite une allocution.

Enfin venait le palmarès : on lisait alors le nom de chaque élève qui avait mérité un – ou plusieurs – prix : français, grammaire, mathématiques, histoire, etc., chaque prix étant récompensé par un livre qu’il montait chercher à la tribune.
Le prix obtenu auréolait de gloire les élèves ainsi distingués, et faisait la fierté de leur famille, ce qui les incitait à persévérer. Marseillaise, fanfare, discours, récompenses, tout cela nous semble bien désuet et même parfaitement ridicule.

Mais alors c’est l’humanité entière qui est désuète et ridicule, car tous ceux qui désirent être reconnus pour leurs capacités se conforment à ce même modèle, qu’ils ne trouvent ni ridicule ni désuet4.

Les prix et les médailles
Nos athlètes sont heureux et fiers de gagner des médailles aux Jeux Olympiques et, par identification avec eux, nous aussi sommes heureux des récompenses qui reconnaissent notre valeur collective.
Les galons qui ornent les uniformes des militaires, tout comme les rubans et rosettes le font à la boutonnière des civils, disent qu’on reconnaît leur valeur, et nos auteurs se sentent reconnus lorsqu’ils reçoivent le Prix Goncourt, le Prix Interallié ou le Prix Femina, sans compter beaucoup d’autres Prix, moins prestigieux, mais qui ont la même finalité.

Comme pour les écoliers, le fait d’avoir été reconnu donne lieu à des cérémonies et à des réjouissances, et parfois à des compte-rendus dans les médias.
 A l’acmé, le Prix Nobel, et la reconnaissance mondiale qu’il suscite. Ce n’est alors pas – comme l’était la Distribution des Prix de nos écoles – le maire qui remet les prix devant un parterre de parents et d’amis, ni une fanfare qui en souligne l’importance, ni de modestes agapes qui terminent la journée, mais une cérémonie impressionnante, au protocole immuable : dans la plus grande salle de la mairie, les lauréats reçoivent leur prix des mains du roi de Suède devant plus de mille invités triés sur le volet, tandis que des sonneries de trompettes retentissent. Le soir, un grand banquet sera donné en leur honneur, la presse mondiale leur tressera des couronnes et tout leur pays sera fier d’eux.
On voit qu’à quelques détails près, notre Distribution des Prix et la prestigieuse remise des Prix Nobel se ressemblent trait pour trait : s’il y a une différence d’échelle entre elles, la finalité en est la même.
Mais « À vaincre sans péril on triomphe sans gloire » et, que nous soyons des enfants ou des adultes, si nous désirons tous être reconnus lorsque nous avons surmonté une épreuve, encore faut-il qu’elle ait été particulièrement difficile pour susciter l’admiration, – de nos amis ou du monde entier suivant les cas – pour nous rendre fiers de nous-mêmes.

1- Je ne parle évidemment pas ici de ceux qui ne peuvent pas fournir l’effort qui leur est demandé pour obtenir la moyenne. Pour eux, il est normal de prévoir une aide de mise à niveau, comme l’Ecole le fait d’ailleurs déjà.
2- La tétine donne au bébé la satisfaction du suçotement, mais elle ne lui apprend pas le plus important : que c’est grâce à ses propres efforts qu’il a conquis ce plaisir.
3- Cette passion a malheureusement une face sombre, très sombre : celle qu’elle revêt quand on utilise son savoir non pour faire progresser ses connaissances mais dans le but de détruire l’autre. La guerre, l’esclavage, le crime en sont des exemples mais, pour désastreux qu’ils soient, ils ne sont le fait que d’une petite minorité.
4- Et l’on en voit même qui, ne pouvant y parvenir par leurs qualités, utilisent leurs vices et commettent des crimes spectaculaires pour forcer l’attention des médias.


© Gabrielle Rubin - Tous droits réservés

       
       
 
 

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