Le Déclin du Modèle Œdipien

2004, Paris, L'Harmattan
Depuis environ quinze mille ans nos systèmes sociaux, religieux et familiaux sont organisés suivant un modèle oedipien, c'est à dire hiérarchique et vertical : au pinacle, Dieu-le-Père règne sur l'Univers. Un cran plus bas se tient le roi (le Pape, l'empereur), qui régente la nation et enfin le père, responsable de la famille.
Or cette organisation oedipienne-verticale semble disparaître au profit d'un modèle fraternel-horizontal car, tout comme le développement de l'embryon reproduit celui du vivant, la marche de la société se calque sur celle de l'enfant : pour elle aussi, il y a eu une Déesse mère à l'aube de l'histoire, ensuite remplacée par Dieu le Père. Verrons-nous la bande des copains fraternels prendre la place des anciennes puissances tutélaires révoquées, et le modèle d'identification des enfants ne plus être le père (dont l'autorité va s'amenuisant) mais l'assemblée des frères ?
« Un jour les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à la horde paternelle » - Freud - Totem et Tabou
L'ouvrage
Chacun sent bien que notre mode de vie est actuellement soumis à de profonds changements, qui pourraient bien nous conduire beaucoup plus loin que ce ne fut jamais le cas précédemment.
Le modèle religieux, social et familial oedipien fait tellement partie de notre organisation psychique qu'il semble aller de soi : en clé de voûte il y a : pour la nation, le roi (l'empereur, le président) ; pour les croyants, le Pape (ou le Chef religieux), et le père pour les enfants.
Cette structure hiérarchique, et donc verticale, date d'environs douze mille ans et a probablement été précédée par des organisations différentes, mais elle arrive actuellement à son terme.
Le peuple n'accepte plus le pouvoir absolu et il désire s'en débarrasser même dans les dictatures -actuellement florissantes il est vrai. Ceux qui étaient autrefois des sujets aspirent maintenant à devenir des citoyens, ce qui transforme en structure horizontale l'organisation jusque là verticale de la société.
Dans ce cas, en effet, ce n'est plus le chef (qui est symboliquement un père : « père de la nation », « petit père des peuples » etc.) qui gouverne, c'est l'assemblée des frères.
Et cela s'appelle la démocratie, ce qui est un grand progrès, chacun -ou presque- en convient.
Mais il n'en est pas de même en ce qui concerne la famille pour cette simple raison -parfois oubliée- que les enfants ne sont pas des adultes et qu'ils ont besoin d'un modèle symboliquement supérieur auquel s'identifier pour progresser.
Privés de la structure verticale qui les soutenaient, les pères actuels et futurs pourront-ils faire face à cette tâche écrasante ? Et n'est-ce pas là une des raisons qui nous a fait créer des enfants-rois, qui n'en demandaient pas tant d'ailleurs, et qui se sentiraient bien plus en sécurité s'ils pouvaient s'appuyer sur les repères solides qu'offre un père vécu comme admirable et très puissant.
Le début du passage du pouvoir du père aux frères (qui sont ses enfants) a commencé il y a environs quinze siècles et s'accélère depuis les avancées technologiques, qui font les enfants plus savants que les pères.
Certes, les fils ont toujours été un peu plus loin que leurs pères, sinon nous en serions encore à l'âge des cavernes. Mais cela se produisaient quand ils étaient devenus des adultes (et donc symboliquement des pères) alors qu'actuellement c'est en tant qu'enfants qu'ils en savent plus que la génération précédente, ce qui déstabilise toute notre société.
Gabrielle Rubin © tous droits réservés
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